Textes généraux

La charité divine selon Mgr Lefebvre



 Mgr Lefebvre a donné cette conférence le 6 juin 1975. Il explique aux séminaristes que la Charité divine est la clé qui explique le mystère de la Trinité aussi bien que celui de l'incarnation. Cette charité doit se prolonger dans les âmes. La charité peut se mal comprendre selon l'archevêque : elle dégénère en sentimentalisme libéral qui n'a rien à voir avec la vie chrétienne. Que Dieu nous préserve de ce malheur.

"Eh bien, reprenons nos considérations d’hier sur ce grand mystère de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Quelle est la pensée, je dirais l’idée qui peut donner une certaine explication, dans la mesure où il peut y avoir une explication à ce grand mystère de l’Incarnation et de l’union hypostatique du Verbe de Dieu avec la nature humaine, eh bien ce mystère, comme celui d’ailleurs de la Sainte Trinité, si on peut trouver un terme qui l’explique dans une certaine mesure, ce terne n’est autre que la charité, il n’y a pas de terme qui puisse mieux faire comprendre cette union hypostatique, il n’y a pas non plus de terme qui puisse mieux expliquer la vie de la Très Sainte Trinité.
Or pourquoi Notre Seigneur, pourquoi Dieu a-t-il envoyé son Fils sur la terre, pourquoi a-t-il demandé au Verbe, à son Fils unique de s’incarner, c’est pour vraiment nous donner une image de Dieu, pour se faire connaître à nous d’une manière plus directe, plus sensible, plus adaptée à nous et en même temps nous racheter, bien sûr, c’est le premier motif ; mais en même temps, pourquoi ce rachat s’est-il fait de cette manière là, c’est pour que nous connaissions mieux Dieu, que nous retournions à Lui ! Eh bien, ce qu’est Dieu, c’est la Charité : Deus est caritas, n’est-ce pas ! Novissime, dit saint Paul dans l’épître aux Hébreux, « Novissime diebus ipsis locutus est in Filio », récemment Il nous a parlé par son Fils qu’il a constitué l’héritier de toutes choses, cum constituit heredem universorum per quem fecit et sæcula, parce qu’Il a fait le temps, les siècles et toutes choses, parce qu’Il est la splendeur de sa gloire, quicum sit splendor gloriæ et figura substantiæ ejus, donc la splendeur de sa gloire est l’image de sa substance donc Notre Seigneur est vraiment Dieu sur terre, on ne peut pas imaginer une image humaine plus parfaite de Dieu que Notre Seigneur Jésus-Christ. Qu’est-ce que nous apprend justement Notre Seigneur : que Dieu est charité, Deus est caritas nous apprend saint Jean, celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu : « Qui non diligit non novit Deum quoniam Deus caritas est. In hoc apparuit caritas Dei novit quoniam Filium suum unigenitum misit Deus in mundum », en cela est apparue la Charité de Dieu pour nous parce qu’Il nous a envoyé son fils unique dans le monde. Et c’est ce que nous a donné aussi Notre Seigneur comme commandement : Je ne vous donne pas d’autre commandement que de vous aimer les uns les autres.
Donc la charité est vraiment ce qu’il y a de plus divin ! Mais encore faut-il bien la comprendre cette charité, il ne faut pas que ce soit une espèce de sentimentalisme, une espèce de dégradation de la charité. On en parle de la charité ! Dieu sait, on en parle de l’amour ! Mais on dégrade cet amour, mais la charité est vraiment l’élan de nos âmes vers Dieu, c’est ce que dit Dom Marmion dont, évidemment je vous conseille beaucoup de lire les livres, que ce soit Le Christ idéal du moine, que ce soit Notre Seigneur Jésus-Christ ou bien… Dom Marmion a vraiment eu des accents extraordinaires pour parler de Notre Seigneur, pour parler de la vie de perfection et il en parle avec une telle simplicité, une telle limpidité que vraiment cela fait beaucoup de bien : « Nous voyons le Christ Jésus, tel un géant, s’élancer dans la carrière à la poursuite de la gloire de son Père c’est là sa disposition primordiale. Écoutons comment, dans l’Évangile il nous le dit lui-même en propres termes : Je ne cherche pas ma volonté mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ; il ne recherche pas sa propre gloire, mais celle de Celui qui l’a envoyé, il a toujours sur les lèvres ces mots “mon Père”, toute sa vie n’est que le magnifique écho de ce cri : Alma Pater, pour lui tout se ramène à rechercher la volonté et la gloire de son Père. » Je pense que c’est cela, voyez, la charité se manifeste surtout dans l’accomplissement de la volonté de Celui que l’on aime, l’accomplissement de la volonté de Dieu que l’on aime** c’est une manifestation pratique de notre charité, et c’est pourquoi cette charité est exigeante ! Quand saint Augustin dit : aime et fais ce que tu veux, ama et fac quod vis. Oui, déjà dans le terme ama, ça veut dire que l’on ne fait pas ce qu’on veut, qu’on ne fait que la volonté de celui que l’on aime et donc évidemment on peut faire ce qu’on veut dans la mesure où l’on fait la volonté de l’autre si on l’aime. Voyez c’est une manière de parler ** je pense que si l’on aime vraiment Dieu eh bien on est libéré, on est libéré de tout ce qui nous empêche de l’aimer et donc on peut faire ce qu’on veut puisqu’à ce moment là tout ce que l’on veut n’est que de faire la volonté de Dieu.
Donc la charité est à la fois… elle est la clé du mystère de Dieu dans une certaine mesure, si on peut trouver une clé de ce mystère et aussi la clé de notre mystère, le mystère de notre vie ! Parce que nous sommes faits à l’image de Dieu, nous ne pouvons pas être faits autrement que charité, nous ne pouvons pas avoir d’autres tendances, nous ne pouvons pas avoir d’autres désirs que celui d’aimer, nous sommes nés avec cet amour, avec ce désir d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain. C’est bien parce que nous avons péché, c’est bien parce que nous avons détourné notre intelligence et notre volonté de Dieu que nous sommes des gens contre nature, c’est contre nature n’est-ce pas !
Le péché est une action absolument contre nature et l’état de ces gens qui vivent sans penser à Dieu et sans penser au prochain, en ne pensant qu’à eux, en vivant comme des égoïstes n’est-ce pas, ces gens-là sont des gens absolument vivant comme des êtres dénaturés, dénaturés, et Dieu sait s’il y en a, malheureusement, et si nous, nous avons cette tendance-là aussi, tendance à tout ramener à nous, à ne voir les choses que par rapport à nous, par rapport à notre science, par rapport à ce que nous aimons, par rapport à ce que nous voulons pour nous et non pas par rapport à Dieu, et non pas par rapport vraiment au prochain et au contraire à nous dégager de nous-mêmes : c’est ça la charité ! Caritas est diffusivum sui, dit saint Thomas, Caritas est diffusivum sui, c’est-à-dire que la charité par elle-même sort de l’être qui est charitable, elle se diffuse n’est-ce pas, c’est comme une communication de l’être !
Comme Dieu nous a aimé et nous a donné l’être, nous, nous devons aimer Dieu aussi et nous donner à Dieu, donner ce que nous sommes à Dieu, donner ce que nous sommes à notre prochain n’est-ce pas, c’est cela ! Et dans la mesure où au contraire on retient pour nous, on ne veut pas se donner, alors on vit en égoïste et c’est un véritable suicide, c’est un suicide,  un suicide qui continuera en enfer, c’est ça l’enfer, l’enfer n’est pas autre chose que des gens qui sont déchirés, qui ont une nature pour aimer et qui la contraignent à seulement à s’aimer eux-mêmes et donc qui vont à l’encontre, à l’encontre de la nature ou qui ruinent leur nature, qui brisent leur nature, et c’est cela le drame des damnés enfin, ces gens qui ont été faits pour aimer et qui ne veulent pas aimer et qui sont fixés dans cette volonté de ne pas aimer et c’est pour cela qu’ils ne peuvent pas être sauvés parce qu’ils se sont fixés eux-mêmes dans la volonté de ne pas aimer et cette volonté ils l’ont toujours, ils la garderont éternellement et c’est pourquoi ils ne peuvent pas passer de l’état d’égoïsme à l’état de charité, cette volonté est fixée pour toujours, volonté de suicide, véritable suicide, or ils s’en rendent compte, ils en… et c’est ça cette peine du dam qui est cette séparation d’avec Dieu alors qu’ils sentent qu’ils sont faits pour Dieu et cependant ils refusent d’aimer Dieu et d’aimer leur prochain, et au contraire ils recherchent la perte de leur prochain. Dans toute la mesure où les démons peuvent encore agir sur terre pour éloigner les gens de Dieu, pour les empêcher d’avoir la charité, pour les rendre égoïstes alors c’est leur bonheur même, d’essayer jusqu’à la fin des temps de perdre le plus d’âmes possible, de les empêcher d’aimer n’est-ce pas !"