Sans la joie, pas de Charité !
(Extrait de : Traité de la Joie de l’âme
chrétienne du Père de LOMBEZ)
La joie est
nécessaire à l’homme
Oui, la joie n’est
pas seulement utile, mais encore très nécessaire à l’homme. Comment
pourrait-il, sans elle, supporter toute la vie les travaux de la pénitence,
vivre dans la solitude, s’il y est appelé, soutenir une guerre continuelle
contre les ennemis de son salut ? Comment pourrait-il vivre en paix avec les
hommes ? Comment pourrait-il rendre à son prochain les services auxquels la
charité l’oblige, et les lui rendre d’une manière à adoucir ses peines et à
faire naître dans son cœur des sentiments d’une charité réciproque ? Comment
remplirait-il le précepte de saint Paul, qui ordonne d’exercer d’un air joyeux,
les œuvres de miséricorde. La joie donne de l’agrément à tout ce qu’on dit, et
à tout ce qu’on fait, au lieu que l’amertume du cœur rend tout insipide et ôte
presque tout le prix aux plus grands services. Elle gâte le caractère,
obscurcit les talents et défigure même l’homme le plus aimable d’ailleurs. Ne
m’appelez plus Noémi, c’est-à-dire Belle, disait une sainte femme, mais
appelez-moi Mara : car j’ai le cœur plein d’amertume.
Mettez un homme aux
prises avec la mauvaise fortune, et ôtez-lui la joie, vous le jetez dans le
dernier malheur, et vous le conduirez peut-être à l’abîme du désespoir. C’est
un Antiochus qui perd le sommeil, qui sèche et qui dépérit. Rendez la joie à
cet homme, ses idées changent avec la disposition de son cœur. Il considère la
brièveté de la vie, le mérite de sa patience, la récompense éternelle que Dieu
lui a promise. C’est un Job qui, tombé
du faîte de la fortune, est content et bénit Dieu sur son fumier.
Ames pieuses, votre
vertu m’édifie et je compatis aux terribles sensations que vous devez nécessairement
éprouver et que vous éprouvez en effet. Vous avez dû vous préparer ; ces
épreuves, lorsque vous êtes entrées au service de Dieu.
Fili, accedens ad servitutem Dei, sta
[...] et prœpara animant tuam ad
tentationem.
Et déjà vous avez
reconnu que la ferme résolution et la confiance en Dieu, avec la joie qu’elles
font naître dans le cœur, vous remplissent de force dans les plus violentes
secousses de la tempête. Je vous vois dans un nuage épais, qui forme une nuit
dans le milieu du jour, tantôt élevées jusqu’aux cieux, tantôt abaissées jusque
dans les abîmes, par les différentes impressions des orages et des vents ;
tantôt poussées vers le port ; tantôt rejetées par les vagues ; mais votre
sérénité et le calme de votre âme déconcertent vos ennemis ; et, la tempête
apaisée, vous jouissez d’un repos tout divin. Je vous vois quelquefois
craindre, hésiter, trembler, et à ce moment enfoncées dans les eaux ; mais dès
que Jésus-Christ parle, et que la joie revient avec la confiance, je vous vois,
comme le Prince des apôtres, marcher à pied ferme sur les vagues des tentations
soulevées par vos ennemis.
Rien de plus
affligeant qu’une longue et fâcheuse maladie, qui nous sépare des hommes, nous
interdit tous les plaisirs ; joint l’amertume des remèdes à l’aigreur du mal,
et ne nous laisse aucun soulagement à de cuisantes et continuelles douleurs.
C’est l’état, sans doute, le plus capable de nous faire perdre la joie, qui ne
nous fut cependant jamais plus nécessaire. Si le noir chagrin s’emparait de cet
homme, dévoré par la cruelle maladie, que n’y aurait-il pas à craindre pour sa
vie et pour son salut ? Mais vous, mon Dieu, qui êtes tout proche des âmes affligées
pour les consoler dès qu’elles se tournent vers vous, vous faites luire à
propos un rayon de votre lumière dans ce cœur, et la joie revient, et il est
content au milieu des souffrances. C’est un Ezéchias qui adore votre conduite
et qui baise tendrement votre main sur le lit de sa douleur.
S’agira-t-il de consoler une personne
affligée, c’est une des plus grandes fonctions de la charité : mais comment pourrons-nous
remplir ce devoir, si nous sommes affligés nous-mêmes ? On n’inspire aux autres
que les sentiments dont on est pénétré. Le cœur parle au cœur comme la langue à
l’oreille et l’esprit à l’esprit. L’abord d’une personne sérieuse et morne
glace même les cœurs dilatés par la joie, bien loin de pouvoir bannir la
tristesse. Je veux bien que vous pleuriez avec ceux qui pleurent, comme saint
Paul vous y exhorte, et que par conséquent votre joie soit tempérée par votre
compassion. Vous offenseriez la personne affligée, si vous ne lui montriez que
de la gaieté ; mais il faut que, de même que le soleil dissipe peu à peu le
nuage qui le couvrait et ramène d’abord une sérénité qui réjouit, et bientôt
après une chaleur qui ranime, ainsi la joie, renfermée dans votre cœur, perçant
insensiblement le voile de deuil qui le couvre, porte d’abord la lumière dans
l’esprit de l’homme affligé, et ensuite la douce paix dans son cœur.
La tristesse
trouble l’esprit et affaiblit le jugement; elle nous rend soupçonneux,
ombrageux, timides, incapables de conduire les autres et plus encore de nous
conduire nous-mêmes.
Résolution
Par plusieurs
actes intérieurs de joie chaque jour, nous tâcherons de nous maintenir dans
cette joie si nécessaire pour pratiquer la Charité.