L’orgueil, fondement de l’empire de
Satan, premier ennemi de la Charité
Filius hominis non venit ministrari
sed ministrare. (Matth., xx, 28)
Le fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir.
Par le péché de nos premiers
parents, le Démon s'était emparé de l'homme et de toutes les créatures. « Tous
les royaumes et toutes les richesses du monde sont à moi, disait-il à Notre-Seigneur:
je te les donne si tu veux m'adorer » (Matth, IV, 9). En descendant sur la
terre, notre divin Rédempteur est comme un Roi qui, après une longue absence,
vient reprendre son empire et chasser l'usurpateur. Lui-même annonce son
entreprise en disant: « Le moment est venu où le Prince de ce monde va être mis
à la porte: Nunc princeps hujus mundi ejicetur
foras» (Jean, XII, 31),
La guerre commence à la grotte de
Bethléem. Ô profondeur de la sagesse de
Dieu! C'est en naissant dans une étable,
pauvre et humilié, que le divin Conquérant ébranle jusque dans ses fondements
la puissance infernale. C'est en se faisant esclave qu'il commence à dépouiller
Lucifer, et à justifier le nom mystérieux que lui-même a reçu des prophètes.
Vous l'appellerez, dit Isaïe : Hâte-toi d'enlever les dépouilles; hâte-toi de
ravager. (Is, VIII, 3)
L’orgueil, c'est-à-dire l'esprit
d'insubordination, est le fondement le plus profond de l'empire de Satan,
l'appui le plus solide de son trône. C'est la chaîne la plus lourde et la plus
difficile à rompre, dont il ait chargé l'homme, son esclave. Pour briser cette
chaîne et miner ce fondement, que fait le Verbe éternel ? A l'orgueil et à la
désobéissance, élevés jusqu'au comble, il oppose l'humilité la plus profonde et
la soumission la plus complète. Il se fait esclave et il en remplit les fonctions.
« Voyez, dit Bède le Vénérable, le
Fils de Dieu devenu l'Enfant de Bethléem. À peine est-il né, que, pour nous
délivrer de l'esclavage, il se fait inscrire comme sujet de César, et paie le
tribut de la servitude » (Luc, II). Ce n'est là qu'un premier signe de
dépendance: en voici un second. Afin de
commencer à payer les dettes de notre orgueil, au prix de ses abaissements et
de ses souffrances, il se laisse, tendre enfant, lier comme un esclave dans les
langes du berceau. Pour lui, ces langes sont l'annonce et la figure des cordes,
dont il devra un jour se faire lier par les bourreaux, en marchant au supplice.
Sa vie entière n'est qu'un long
acte de servitude. Pendant trente ans, lui, le Maître du monde, obéit à deux de
ses créatures, Marie et Joseph, et erat
subditus illis. Constamment aux ordres de l'un et de l'autre, tantôt, à la
voix de saint Joseph, il travaille à dégrossir le bois nécessaire pour l'état
de son père nourricier; tantôt, à la voix de Marie, il ramasse les menus
fragments de ce bois pour le foyer. On le voit tour à tour balayer la maison,
puiser de l'eau, ouvrir et fermer l'atelier. «En un mot, dit saint Basile,
Marie et Joseph, étant pauvres, étaient obligés de vivre du travail de leurs
mains. Pour exercer l'obéissance et montrer le respect qu'il leur portait,
comme à ses supérieurs, le Verbe fait chair se livrait à tous les travaux qu'il
pouvait humainement accomplir ».
L'histoire rapporte comme un prodige
d'humilité, que saint Alexis, fils d'un des plus grands seigneurs de Rome,
voulut vivre, et vécut en effet, pendant dix-sept ans comme un serviteur inconnu
dans la maison de son père. Mais qu'est-ce que l'humilité de ce saint, comparée
à l'humilité de l'Enfant de Bethléem? Entre fils et serviteur du père de saint
Alexis, il y a sans doute une différence de condition; mais c'est une
différence bornée. Entre Dieu et serviteur de Dieu, la différence est infinie.
Ce n'est pas tout: en se faisant serviteur de son Père, le Fils de Dieu s'est
fait par obéissance serviteur de ses propres créatures, et erat subditus illis.
O Dieu! et nous refuserons de nous
soumettre au glorieux esclavage de cet aimable Enfant, qui, pour nous sauver,
s'est lui-même dévoué à la servitude la plus profonde! Plutôt d'être les heureux
serviteurs de ce Monarque si grand, nous aimerons mieux être les esclaves
dégradés du démon! A ce Roi si bon et si magnifique, nous préférerons Satan:
maître cruel qui n'aime pas ses serviteurs, mais qui les hait, qui les traite
en tyran, qui les dépouille et les rend malheureux dans ce monde et dans
l'autre!
Si nous avons à nous reprocher une
pareille folie, pourquoi ne pas sortir sur-le-champ de notre honteuse et
déplorable servitude? Pourquoi, délivrés de l'esclavage du démon, ne prenons-nous
pas, ne couvrons-nous pas de nos baisers, les douces chaînes qui nous rendent
serviteurs et frères de l'Enfant de Bethléem ; qui nous attachent glorieusement
à lui, et qui se changeront en couronne de gloire pour l'éternité?
O Monarque du monde, devenu
esclave et serviteur pour l'amour de moi! J'ai honte de paraître aujourd'hui
devant votre crèche, monument éternel de vos abaissements. Je rougis à la pensée
de mon orgueil, au souvenir de mes folies et de mes ingratitudes.
Reprochez-les-moi, aimable Enfant; vous avez raison. « J'avais brisé vos
chaînes, me dites-vous, et vous m'avez dit: je ne veux pas de la liberté que
vous m'offrez; je préfère l'esclavage; j'aime mieux être soumis au démon qu'à
vous ».
Je reconnais ma faute et je m'en repens.
Vos mérites infinis, ô mon Sauveur, animent mon espérance. J'attends mon pardon
de cette inépuisable bonté, qui ne vous permet pas de mépriser un cœur contrit
et humilié, cor contritum et humiliatum,
Deus, non despicies. Prenez les chaînes de votre amour, mettez-les à mes
pieds et à mes mains; que je ne puisse jamais les rompre ni faire aucun mouvement
contraire à votre volonté. J'aime mieux, aimable Enfant, être votre serviteur
que le maître du monde. De quoi sert le monde entier à celui qui est privé de
votre grâce ? (Mtth, XVI, 46)
Mgr Gaume
Bethléem ou l’école de l’Enfant-Jésus
Résolution
En ce temps de Noël, contemplons
l’Enfant de la Crèche qui nous donne le plus grand exemple du remède à l’orgueil :
l’humilité. Pour soutenir notre
méditation, n’hésitons pas à user d’ouvrages comme Bethléem ou l’école de l’Enfant-Jésus (Mgr Gaume) ou Noël : neuvaine et méditations (Saint
Alphonse de Liguori)